Monday, April 11, 2005

Walid Joumblatt, inconscient?

Le 13 mars dernier, le journal de TV5 nous montrait, ici en Afrique, la visite à Bruxelles (la capitale de l’Europe, pas celle de la petite Belgique !) de Walid Joumblatt, le leader druze d’une partie de l’opposition libanaise.
Et personne, Personne !, n’a réagit négativement, personne n’a même questionné la diplomatie insensée de cette démarche!

Dans le numéro 2228 du NouvelObs (17-23 mars) François Bazin montre bien la fidélité de Joumblatt et son dévouement à la cause du pluralisme libanais. Il insiste à juste titre sur son pragmatisme et son réalisme face au pouvoir et aux intentions des Syriens. Mais rien sur les ferments claniques et communautaristes qui font de cette visite à Bruxelles la mèche d’une bombe qui peut à tout moment relancer la guerre civile !
Bien sûr il fallait que les socialistes viennent publiquement soutenir l’opposition libanaise à l’occupation syrienne. Bien entendu, la France et tous les pays démocratiques ne doivent laisser aux Syriens et à leurs amis aucun doute sur le soutien du monde libre à la démocratie pluraliste au Liban. Comme Jean Daniel l’écrit, dans son édito du même numéro, il s’agit 'd’un immense sursaut démocratique' en réponse à l’assassinat de Rafic Hariri et 'l’Union européenne a un rôle déterminant à jouer'.
Mais il était tellement évident, à quiconque connaît le Moyen-Orient d’aujourd’hui autrement qu’en visiteur, ou encore à ceux qui ont vécu de près les confrontations communautaristes d’où qu’elles soient (Rwanda, Congo, Indonésie…), que Joumblatt lui-même, et ses amis, devaient nécessairement traiter tous ces soutiens européens et surtout francophones, d’une façon un peu détachée, voire condescendante. Si, du moins, ils veulent sincèrement donner sa chance à une solution nationale, juste et pluraliste.

Comme le disait Mr Candido dans une interview sur les pesanteurs post-coloniales indélébiles au Katanga (voir http://mrcandidoaukatanga.blogspot.com ) il faudrait peut-être prendre conscience de la dichotomie 'collaborateurs-résistants' qui s'est installée au Liban durant le mandat français?

Se peut-il réellement que Walid Joumblatt, avec toute son expérience politique, n’ait pas réalisé que le Hezbollah, même s’il agit entièrement sur les directives de Damas, venait juste de faire un geste lourd de signification en défilant dignement avec la retenue d’un vrai parti politique ?
Que la seule façon de matérialiser cette utopie était de la prendre au sérieux, immédiatement ? Et les rencontrer au plus vite.
Que sa visite à Bruxelles, au contraire, à ce moment précis, était une gifle aux jeunes chiites qui, peut-être, avait cru aux bonnes intentions du Hezbollah. Mais surtout qu’elle sonnait le réveil inévitable de ce qui était, il y a 30 ans, la cause fondamentale de la guerre civile : le ressentiment, la haine bientôt, entre ceux que Mr Candido appelle, sans diplomatie et sans langue de bois, les résistants et les collaborateurs. Les traditionnels, simples, communautaires et conservateurs, et en face ceux qui se voient comme des élites, francophones et tournés résolument vers un avenir à l’image du monde moderne, individualiste, industriel et progressiste.

Cette fracture est le plus grand danger du Liban. La réduire, sans cesse, sans faiblir, sans distraction, est la priorité de tous les libanais car c’est la seule façon de recréer un jour une entité qu’on puisse appeler ‘Le Liban’.

Venir à Bruxelles, en francophonie, à ce moment là, c’était de l’inconscience. Et c’est peut-être cela le plus grave : si les oppositions Libanaises, druze et chrétienne, ne réalisent pas encore qu’elles ont une position infiniment plus délicate que celle, par exemple, de sunnites comme les Hariri, elles justifient alors les pires reproches que leur font le petit peuple chiite : d’être de pseudo aristocrates et de les mépriser.

Et cette semaine cela continue: hier Jamy Gemayel faisait la même erreur dans un débat public avec Dory Jalkh, représentant de l'opposition 'pro-syrienne'. Gemayel professait son attachement 'aux valeurs démocratiques européennes' face à un Jalkh bien plus politique qui avait beau jeu d'exprimer, lui, la carte de l'évolution arabo-arabe. Il est urgent que tous les partis du Liban cherchent des solutions libanaises au déficit démocratique du Liban. Et oublie toute forme d'inféodation à l'étranger, même s'ils ont grandi, pour part, dans la culture française.


Sinon, il ne nous resterait qu'à pleurer sur l’inconscience des francophones du Liban car la guerre, civile ou d’invasion, ne serait pas loin !